L’erreur de diagnostic prénatal
L’erreur de diagnostic prénatal
Cass. 1ère civ., 16 janvier 2013, n°12-14.20
Dans le cadre d’un suivi de grossesse, les médecins échographistes peuvent, dans les comptes rendus d’examen affirmer des constatations erronées constituant ainsi une faute médicale au sens de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles.
Cet article a été introduit par la Loi du 4 Mars 2002 dite dispositif « anti-Perruche », portant valeur législative au principe d’interdiction de l'indemnisation du seul préjudice d'être né.
L’alinéa 3 de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles dispose que « lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice ». La loi du 4 Mars 2002 n’a cependant pas pris le soin de définir la notion de faute caractérisée, il appartenait donc à la jurisprudence de définir les contours de cette notion.
La Cour de cassation a statué pour la première fois sur la notion de faute caractérisée dans sa décision du 16 janvier 2013 ouvrant droit à l’indemnisation du préjudice des parents. En l’espèce, une femme accouche d’un enfant présentant une agénésie de l’avant-bras non décelé avant la naissance par deux médecins lors de la réalisation des trois échographies. Les comptes rendus mentionnent que l’enfant « a ses deux mains » et les « membres visibles avec leurs extrémités ». Les parents réclament la réparation de leur préjudice moral au motif que les médecins échographistes ont commis une faute caractérisée du fait de la mauvaise lecture de l’examen, se fondant ainsi sur l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles.
L’application du dispositif « anti-Perruche »
En 2006[1], la Haute cour écarte l’application du dispositif « anti-Perruche » aux instances en cours, en 2008[2], les juges se fondent sur l’existence d’une violation du droit de créance, interdisant l’application de l’article L. 114-5 à tous les dommages survenus avant le 7 mars 2002, écartant la rétroactivité de la loi. Enfin, le 15 Décembre 2011 la Cour réitère sa position[3]. En l’espèce, le problème ne se présente pas, l’enfant né en 2005, l’article L.114-5 du Code de l’action Sociale et des Familles trouve à s’appliquer.
La notion de faute caractérisée en matière de diagnostic prénatal
La faute caractérisée conditionne l’engagement de la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse.
Le Conseil d’Etat est le premier à avoir eu la mission de mettre en évidence cette notion de faute caractérisée qu’il constate selon l’évidence et l’intensité de la faute[4]. La Cour de cassation reprend ce double critère sans pour autant définir ces termes. On suppose alors la référence à l’article 121-3 du Code pénal. La notion d’intensité renvoie à un critère de gravité puisque « la faute caractérisée est en effet cette faute si grave qu’elle justifie la mise en jeu de la responsabilité civile des médecins alors même que la loi a entendu les protéger au titre de la loi anti-Perruche. Il s’agit donc d’une faute qui dépasse la faute simple pour présenter des liens de parenté avec la faute lourde »[5]. La notion d’évidence doit quant à elle manifester le caractère patent d’une faute. Ainsi, « le comportement fautif devient caractérisé lorsqu’il traduit un violation des devoirs les plus élémentaires de tout professionnel de santé »[6].
Dans sa décision du 16 janvier 2013, la première chambre civile reprend ces termes d’intensité et d’évidence sans pour autant en donner une définition mais semble s’accorder sur l’interprétation déduite du Code pénal. En l’occurrence, l’intensité et l’évidence de la faute des médecins découlent des mentions manifestement erronées et péremptoires inscrites dans les comptes rendus d’examen.
Plus récemment, la Cour administrative d’appel de Marseille[7] a statué en ce sens, reprenant les critères d’intensité et de gravité soulevés par le Conseil d’Etat[8]. En l’espèce, une femme donne naissance à un enfant atteint de malformations graves des membres inférieurs et supérieurs, conséquences d’une maladie gestationnelle. Au cours des échographies prénatales, ces anomalies n’ont pas été détectées. Les parents agissent en qualité de représentants de leur enfant devant le tribunal administratif, demandant la réparation du préjudice subi. Le jugement rendu en premier instance admet la faute caractérisée de l’hôpital dans l’absence de diagnostic anténatal, et la décision d’appel reconnait l’insuffisance du montant au motif que l’évaluation repose plus sur des éléments psychologiques que matériel.
Le préjudice d’impréparation
Depuis l’article 1er de la loi du 4 mars 2002, seul le préjudice des parents peut être indemnisé dans l’hypothèse d’un handicap congénital non diagnostiqué.
L’indemnisation qui en découle se limite au seul préjudice des parents, à l’exclusion du préjudice de l’enfant et des charges particulières induites par le handicap, qui relèvent de la solidarité nationale (Article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles).
Les juridictions se réfèrent classiquement à la notion de perte de chance de réaliser une IVG afin d’envisager l’indemnisation du préjudice des parents.
Or, dans un cas d’espèce, les juges d’appel retiennent le préjudice d’impréparation des parents indépendamment de toute possibilité d’avoir recours à une IVG[9]. Ce préjudice consacré par la 1ère Chambre de la Cour de Cassation le 3 juin 2010[10] dans l’hypohèse d’un défaut d’information sur le risque médical encouru trouve néanmoins, à s’appliquer dans les cas d’erreur de diagnostic prénatal.
Le préjudice des parents en lien avec la faute caractérisée est donc l’impossibilité d’avoir pu se préparer à l’arrivée d’un enfant atteint d’un handicap congénital ou non.
De même, la Cour administrative d’appel de Marseille[11] s’accorde avec la jurisprudence de la Cour de cassation, reconnaissant que la faute caractérisée a entrainé « une situation de détresse et de souffrance liée au choc de la révélation du handicap lors de la naissance de l’enfant, alors que l’accouchement constitue à la fois un événement heureux mais également un moment de fatigue physique et psychologique qui vient d’aggraver la révélation du handicap à ce moment-là », permettant une réévaluation à la hausse de l’indemnité accordée aux parents en première instance.
[1] Cour de cassation, 1ère chambre civile, 24 janvier 2006, n°02-12260
[2] Cour de cassation, Assemblée plénière, 8 juillet 2008, n°07-12159
[3] Cour de cassation 1ère chambre civile, 15 décembre 2011, n°10-27473
[4] Conseil d’Etat, 9 février 2005, n°255990 et 13 mai 2011, n°329290
[5] P. MISTRETTA, observations, Conseil d’Etat, 19 février 2003, n°247908
[6] Idem
[7] Cour administrative d’appel de Marseille, 7 janvier 2015, n°13MA03045
[8] Conseil d’Etat, 31 mars 2014, n°345812 et n°346767
[9] Cour d’appel de Versailles, 15 décembre 2011
[10] Cour de cassation, 1ère chambre civile, 3 juin 2010, n°09-13591
[11] Cour administrative d’appel de Marseille, 7 janvier 2015, n°13MA03045
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